Résumé de la réaction de la commission d’éthique protestante évangélique

à  la loi « Droits des malades en fin de vie et devoirs des médecins

à l’égard des patients en fin de vie » (mise à jour 3/11/2016)

 

Sur les conditions de la  fin de vie en France plusieurs rapports ont fait le constat d’un accès aux soins palliatifs très insuffisants, d’une loi Leonetti qui permet de prendre en compte la parole du malade mais qui n’est ni connue ni appliquée. Et donc encore aujourd’hui de patients qui n’ont pas été écoutés ni soulagés dans leur souffrance, de familles blessées par cette situation et d’équipes soignantes qui pâtissent  aussi de ne pouvoir remplir correctement leur mission de soulager la souffrance. De ce point de vue on ne peut que se réjouir de l’annonce d’un nouveau plan national soins palliatifs avec un nécessaire et  important volet formation.

 

Un « droit à » qui perturbe le dialogue et pourrait ne pas être toujours dans l’intérêt du malade

Il faut remédier à cette situation mais une nouvelle loi est-elle la meilleure réponse ? Qu’apporte cette proposition de loi Leonetti-Claeys « Droits des malades en fin de vie et devoirs des médecins à l’égard des patients en fin de vie », promulguée le 2 février 2016? Elle se propose de garantir que la parole du patient soit écoutée en rendant ses directives anticipées écrites contraignantes pour le médecin. Elle  propose de garantir que la personne en fin de vie ne souffrira pas, en faisant de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort, une anesthésie générale en fait, un droit du patient que le  médecin doit respecter. Cette loi se  met donc résolument du côté du patient, du respect de son autonomie. Elle apparait comme rassurante pour lui pour sa famille.   Mais cette logique du « droit à » risque de modifier la relation entre médecin et patient en transformant celui-ci en prestataire de service et pas forcément dans l’intérêt du malade. Car la volonté écrite du patient, ou orale de la personne de confiance ou de la famille, pourrait aller contre l’intérêt du malade dans telle ou telle situation. Le médecin lui-même, plutôt que se lancer dans un dialogue qui prendrait du temps, pourrait se retrancher derrière le respect de l’autonomie du patient : je vous donne ce à quoi vous avez droit tout en sachant que ce n’est pas forcément le mieux pour vous. Le principe d’autonomie risque donc de jouer contre le principe de bienfaisance. Certes la proposition de loi a proposé des garde-fous en disant que les directives écrites ne s’appliquaient pas en cas d’urgence vitale et que le médecin gardait la latitude de ne pas appliquer les directives écrites, après consultation d’un confrère,  si elles étaient « manifestement inappropriées ». La commission des affaires sociales du Sénat a malheureusement supprimé ce garde-fou au nom du respect de l’autonomie du patient.

 

La sédation continue, une solution qui ne devrait pas devenir la solution à la souffrance

La sédation, faire dormir celui dont on ne peut calmer  les souffrances, est déjà en usage, à la différence que jusqu’à présent c’était une pratique réversible. Certains ont trouvé que cette pratique de réveiller un patient pour lui demander s’il ne souffrait plus était absurde et douloureux. D’où  la proposition de rendre cette sédation continue en fin de vie. Le patient qui demande l’interruption de traitements vitaux, peut aussi la demander. La souffrance doit être soulagée, la volonté d’un patient de ne plus poursuivre un traitement  doit être respectée mais non sans dialogue. La proposition de sédation ne doit pas être un recours unique voire commode, qui interrompe le cheminement intérieur du patient vers sa fin. La sédation est un moyen mais ne doit pas devenir le seul et ne doit pas servir à une euthanasie masquée ou une offre de suicide assisté. Il faudrait donc que la loi précise que l’intention de la sédation profonde en phase terminale doit rester de soulager la souffrance et non de donner la mort sur demande.

Inspiration chrétienne et bien de la cité

Une éthique évangélique est attention au faible, appel à la responsabilité des forts pour qu’ils ne dominent pas mais que leur puissance reste au service, et abandon confiant au Christ pour la vie et la mort  plutôt que quête angoissée d’un contrôle sur sa vie et sa mort. Elle refuse aussi bien l’obstination déraisonnable de la technique médicale qui n’est plus au service de l’humain que l’euthanasie. Il est inhumain de laisser souffrir quelqu’un mais soulager n’est pas tuer.

Si cet abandon final demande la foi, les deux premières sont sources de bien social quelle  que soit la croyance. Cette attention aux personnes vulnérables refusera de voir qualifier certaines vies d’inutiles. Et nous saluons au passage le fait que la commission des affaires sociales du Sénat ait supprimé de la proposition de loi la formulation «ne pas prolonger inutilement sa vie ».  Elle ne cherchera pas non plus à retenir à tous prix la vie de celui qui s’en va, elle refusera donc à la fois une obstination déraisonnable et l’euthanasie ou l’encouragement social au suicide que consiste l’offre d’une assistance au suicide.

C’est moins  une nouvelle loi dont ont besoin ceux qui souffrent et les soignants dont la mission est de les soulager, que des moyens d’un accompagnement.

Comme le soulignait Emmanuel Hirsch dir. de l’Espace Ethique : « Nous ne sommes donc pas en manque de loi, mais de capacités d’initiatives reconnues aux professionnels de consacrer le temps indispensable à une relation de soin responsable ». Le Figaro  08-09/11/2014.

 

A Lire: Emmanuel Hirsch, Mort par sédation, une nouvelle éthique du « bien mourir ? », éditions Eres 2016.

Pasteur Luc Olekhnovitch 3/11/2016

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Sur la proposition de loi « Droits des malades en fin de vie et devoirs des médecins

à l’égard des patients en fin de vie »(texte intégral)

 

Sur les conditions de la  fin de vie en France plusieurs rapports ont fait le constat d’un accès aux soins palliatifs très insuffisant, d’une loi Leonetti qui permet de prendre en compte la parole du malade mais qui est mal connue et peu appliquée ; et donc encore aujourd’hui de patients qui n’ont pas été écoutés ni soulagés dans leur souffrance, de familles blessées par ces situations et d’équipes soignantes qui pâtissent  aussi de ne pouvoir remplir correctement leur mission de soulager la souffrance[1].

 

Une garantie que le patient soit entendu mais un « droit à » qui peut troubler le dialogue patient-malade

Il faut remédier à cette situation mais une nouvelle loi est-elle la meilleure réponse ? Qu’apporte cette proposition de loi Claeys-Leonetti « Droits des malades en fin de vie et devoirs des médecins à l’égard des patients en fin de vie », votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 17 mars ? Elle se propose de garantir que la parole du patient soit écoutée en rendant ses directives anticipées écrites contraignantes pour le médecin. Elle  propose de garantir que la personne en fin de vie ne souffrira pas, en faisant de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort, une anesthésie générale en fait, un droit du patient que le  médecin doit respecter. Cette loi se  met donc résolument du côté du patient, du respect de son autonomie. Elle apparaît comme rassurante pour lui et pour sa famille face à la peur d’être abandonné avec ses souffrances. Peur  malheureusement non sans fondements comme le montrent des rapports sur la mort à l’hôpital[2]. Mais cette logique du « droit à » risque de modifier la relation entre médecin et patient en transformant celui-ci en prestataire de service et ce pas toujours forcément dans l’intérêt du malade. Car la volonté écrite du patient, ou orale de la personne de confiance ou de la famille, pourrait aller contre l’intérêt du malade lui-même dans telle ou telle situation. Ces droits opposables pourraient aussi inciter le médecin à renoncer à dialoguer pour convaincre le malade ou sa famille qu’un autre choix, meilleur pour le patient, est possible. Inscrire dans le droit, de façon rigide, le respect de l’autonomie du  patient pourrait donc parfois aller contre le devoir  de bienfaisance à son égard. Certes la proposition de loi a prévu des garde-fous en disant que les directives écrites ne s’appliquaient pas en cas d’urgence vitale et que le médecin gardait la latitude de ne pas appliquer les directives écrites, après consultation d’un confrère,  si elles étaient « manifestement inappropriées ». Nous regrettons que la Commission des affaires sociales du Sénat ait supprimé ce garde-fou au nom du respect de l’autonomie du patient. Il faudrait pouvoir mieux articuler devoir pour les soignants d’écouter vraiment le patient et de respecter sa liberté avec le devoir de solidarité envers une personne vulnérable. Nous pensons  que cette articulation entre respect de la liberté du patient et devoir de prendre soin relève plutôt d’une pratique du dialogue à encourager, y compris en en donnant les moyens matériels, que d’une loi à promulguer.

 

La sédation continue, une solution qui ne devrait pas devenir la solution à la souffrance

La sédation, faire dormir celui dont on ne peut calmer  les souffrances, est déjà en usage, à la différence que jusqu’à présent c’était une pratique réversible. Certains ont trouvé que cette pratique de réveiller un patient pour lui demander s’il ne souffrait plus était absurde et douloureuse. D’où  la proposition de faire de la sédation continue en fin de vie un droit  en cas de souffrances réfractaires à tout autre traitement. Le patient qui demanderait l’interruption de traitements vitaux, pourrait aussi la réclamer de droit. La souffrance doit être soulagée, la volonté d’un patient de ne plus poursuivre un traitement  doit être respectée mais non sans dialogue. Faire de la sédation un droit opposable risque d’en faire  un recours unique voire commode, et risque de supprimer la possibilité pour le patient et sa famille de prendre le temps d’un cheminement intérieur vers sa fin. La sédation y compris profonde et continue est un moyen légitime de soulager la souffrance mais ne doit pas devenir le seul et ne doit pas servir à une euthanasie masquée ou  à une offre de suicide assisté. Il faudrait donc que la loi précise que l’intention de la sédation profonde en phase terminale doit rester de soulager la souffrance et non de donner la mort sur demande.

 

L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles assimilé à un arrêt de traitement

 

Cette nouvelle loi propose d’inscrire l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles  dans la catégorie de l’arrêt de traitement possible en cas d’ « obstination déraisonnable ». L’arrêt de la nutrition voire de l’hydratation artificielle peuvent se justifier, dans certains cas, en fin de vie, y compris pour des raisons de confort du malade,  mais il doit alors  être  accompagné ; on ne doit  laisser personne  mourir de faim ou de soif. Mais qualifier ces soins vitaux de traitement,  c’est passer par-dessus le problème de conscience que pose cet arrêt en jouant sur les mots.  La Commission des affaires sociales  du Sénat a vu le danger puisqu’elle a supprimé cet énoncé lapidaire, « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement »,  de la proposition de loi. Il nous paraît plus juste d’encadrer cet arrêt de façon spécifique, par des recommandations de bonnes pratiques, respectueuses d’une éthique du prendre soin, plutôt que changer le sens des mots en faisant passer un soin élémentaire pour un traitement. L’assimilation de l’arrêt de l’alimentation ou de l’hydratation à l’arrêt de la respiration artificielle en fin de vie est fallacieuse. Ce n’est pas du tout la même chose de ne plus aider artificiellement celui qui est près de rendre son dernier souffle, que de priver de subsistance un malade en état végétatif qui vit et respire de lui-même. Dans le premier cas c’est laisser mourir, dans le deuxième cas c’est faire mourir, la loi ne doit  pas donner ce droit.

Inspiration évangélique et  bien des personnes vulnérables

La foi évangélique nous invite, plutôt que de se lancer dans une quête angoissée d’un contrôle sur notre vie et notre mort, à un abandon confiant au Christ dans la vie comme dans la mort. L’éthique évangélique nous appelle à porter une attention particulière aux faibles, et à rappeler aux forts leur responsabilité de ne pas user de leur pouvoir pour dominer mais pour servir.  La foi évangélique refusera donc  aussi bien l’obstination déraisonnable d’un activisme médical qui ne serait plus au service de l’humain que l’activisme d’un contrôle sur sa mort par l’euthanasie. Si un abandon final confiant  demande la foi, l’attention éthique particulière aux faibles et le rappel aux forts de leurs responsabilités à leur égard est source de mieux-être social. Nous rappelons que c’est d’être accompagné qui donne la force de vivre et que c’est l’abandon qui tue le désir de vivre. Voir le nombre de personnes âgées qui vieillissent et meurent seules, parfois abandonnées sur un brancard aux urgences, ou se suicident[3].  Nous saluons le fait que la Commission des affaires sociales du Sénat ait supprimé de la proposition de loi l’argument disant qu’il faut permettre au patient souffrant de «ne pas prolonger inutilement sa vie ».  Notre attention évangélique aux personnes vulnérables refusera de voir qualifier certaines vies d’inutiles. Une personne, même incapable de communiquer, reste une personne et doit être traitée comme telle, en recherchant ce qui est le mieux pour elle. Il est inhumain de laisser souffrir quelqu’un qu’on peut soulager mais ce soulagement passe par l’écoute et une attention aux situations dans le respect éthique et légal de l’interdit du meurtre.

 

Une nouvelle loi ? Pourquoi pas…à condition de la préciser pour éviter les dérives,  mais priorité à l’application des soins palliatifs

Nous reconnaissons que l’intention de cette proposition de  loi est d’offrir une autre réponse que la légalisation de l’euthanasie à des situations de souffrances intolérables. Nous reconnaissons que Messieurs les députés Claeys et  Leonetti ont bien fait de vouloir obliger les médecins à mieux prendre en compte la parole des patients. Ils ont aussi bien fait de vouloir offrir au patient la garantie que sa souffrance serait soulagée, en particulier en fin de vie. Nous approuvons les garde-fous posés à la pratique de la sédation terminale, réservée aux cas où « le pronostic vital est engagé à court terme » et ultime recours face à « une souffrance réfractaire ». Mais nous nous inquiétons : est-on bien sûr que ces garde-fous tiennent et que cette pratique reste exceptionnelle quand cette loi crée dans les esprits un droit à l’autodétermination du patient ? Ce droit à l’autodétermination transparaît nettement dans la disposition qui prévoit qu’un malade, choisissant de se mettre en danger en refusant des traitements vitaux, aura la garantie d’accéder à cette  sédation terminale, ce qui se rapproche dangereusement d’une mort sur demande. La Commission des affaires sociales du Sénat ne s’y est pas trompée, qui a supprimé cette dernière disposition.

 

Nous pensons donc que cette proposition de loi devrait être amendée pour :

– préserver  un espace de dialogue patient-famille-médecin profitable au souffrant

– ne pas réduire la réponse à la souffrance à l’application d’une technique, la sédation terminale

– préciser plus clairement que l’intention de recours à la sédation terminale doit demeurer  de soulager la souffrance et non de tuer

– ne pas assimiler l’arrêt d’alimentation et d’hydratation artificielles à un traitement, mais plutôt  recommander de bonnes pratiques, respectueuses d’une éthique du prendre soin, dans le cas où il est envisagé

– qu’elle ne soit pas au détriment de l’accompagnement humain et médical des malades souffrants

– c’est pourquoi nous demandons un nouveau plan national soins palliatifs, le dernier datant de 2012

Nous  nous inquiétons aussi d’une pression économique qui pèse sur les acteurs de santé et nuit à l’écoute et à l’accompagnement des patients. Et nous mettons en garde contre une politique de l’affichage qui augmenterait le nombre de lits en soins palliatifs sans y adjoindre les postes en personnel soignant nécessaires. Il serait bon de valoriser les actes d’accompagnement y compris dans la tarification.

 

Priorité devrait être donnée, non à une nouvelle loi, mais  à  l’extension de l’accès aux soins palliatifs et à  la généralisation de la formation dans ce domaine.  Car,  comme le faisait remarquer à juste titre un rapport du Comité consultatif national d’éthique, « Tant que la formation des professionnels de santé à la culture palliative restera marginale, il n’y a rigoureusement rien à espérer d’un changement des pratiques en France face aux situations de fin de vie. » [4]

 

 

 

Commission d’éthique protestante évangélique, le 13 juin 2015

[1] Voir le Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie, 21 octobre 2014, p.15-16, qui fait état de cette souffrance des soignants face à des situations pour lesquelles ils ne sont pas formés.

 

[2] Enquête nationale « Mort à l’hôpital », MAHO 2008. Parmi les infirmières interrogées, seulement le tiers (35 %) avaient jugé «acceptables» les circonstances des décès dans leurs services.

[3] Voir le rapport de l’Observatoire national de la fin de vie : Face au vieillissement: le risque d’un naufrage social,  ONFV février 2014.

[4] Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie, 21 octobre 2014, p.15.

 

 

La commission publie le texte “Fin de vie”, pour le développement des soins palliatifs et une meilleure information sur la loi actuelle, et contre l’inscription de l’euthanasie ou du suicide assisté dans la loi.